Zaki Moubarak : «Le Sahara n’est pas la cause de la crise maroco-algérienne»
La
crise entre le Maroc et l’Algérie est-elle due au conflit autour du
Sahara ? Zaki Moubarak démontre, preuves historiques à l’appui, le
contraire. Dans son récent livre «Les origines de la crise dans les
relations maroco-algériennes», il explique que bien d’autres facteurs
entrent en jeu. ALM : Pourquoi un livre aujourd’hui sur l’histoire des relations maroco-algériennes ?Zaki
Moubarak : Mon livre se propose d’exposer, d’analyser et de commenter
les principaux évènements historiques qui sont à l’origine des
différentes crises successives qui provoquaient, à maintes reprises, la
rupture de ces relations depuis l’indépendance des deux pays. Or, de
telles crises ne devaient pas, naturellement et objectivement, éclater
entre les deux pays dont la géographie, l’Histoire, la religion, les
langues et le destin communs sont autant de facteurs de solidarité et
de coopération à même d’interdire l’éclatement de telles crises qui
portèrent largement atteinte aux aspirations profondes des deux
peuples. Le contenu de ce livre n’est que le fruit des interventions et
communications présentées aux différents colloques, congrès et
rencontres culturels qui eurent pour thème : l’histoire des mouvements
de libération nationale ou l’histoire de l’indépendance des pays du
Maghreb.
Le titre de votre ouvrage laisse entendre que
l’affaire du Sahara n’est pas la principale origine de la crise entre
les deux pays. Quelles sont les autres ?Les relations entre le
Maroc et l’Algérie étaient tendues bien avant l’éclatement du conflit
du Sahara. La méfiance et la suspicion entre Algériens et Marocains ne
sont pas innées ; elles trouvent leurs racines et leur prolongement
jusqu’aux débuts de la colonisation de l’Algérie par la France en
juillet 1830. Les Marocains avaient considéré l’occupation de l’Algérie
par la France colonialiste comme un drame historique exigeant du peuple
marocain un soutien sans réserve aux mouvements jihadiens qui
déclarèrent la lutte armée contre les troupes françaises qui occupent
une terre d’Islam et un pays voisin.
Le Sultan Moulay Abderrahman
ne pouvait rester insensible aux appels de l’Emir Abdelkader
l’Algérien, Chevalier de la Foi, qui proclama le Jihad contre les
armées chrétiennes ; comme il ne pouvait rester insensible aux
v?#8220;ux et souhaits des populations marocaines et de la classe
consciente du peuple qui manifestèrent à l’Emir Abdelkader une
solidarité sans limites.
Le Souverain chérifien lui fournit donc
armes, chevaux, subsides et encouragea les tribus du Maroc oriental à
soutenir son action jihadienne en s’engageant dans les rangs de son
armée. Obligé de poursuivre son combat à partir des frontières
marocaines, la France adressa au gouvernement marocain des
protestations énergiques exigeant des autorités marocaines de prendre
les mesures qui s’imposent pour mettre fin à de tels agissements.
Devant
le refus du Maroc, la France déclencha la guerre contre les troupes
marocaines et les tribus qui soutenaient la lutte de l’Emir Abdelkader.
De cette guerre, le Maroc sortira vaincu et humilié; le pouvoir du
Sultan Abderrahman ébranlé, son armée désagrégée. Et face aux
populations marocaines, l’image du Sultan est discréditée ; car pour
elles, le Sultan et son makhzen furent incapables de défendre ni leurs
droits, ni ceux du peuple algérien frère. Cette guerre engagée par le
Maroc pour soutenir l’Emir Abdelkader est considérée comme étant
l’origine de toutes les crises qui entacheront les relations entre les
deux pays.
Qu’en est-il du rôle de la France dans tout cela ?La
défaite de l’armée marocaine va obliger le gouvernement marocain à
conclure avec la France deux traités inégaux, car imposés par la force.
Le premier est celui de Tanger du 10 septembre 1844 ; le deuxième est
celui de Lalla Maghnia le 18 mars 1845. Le premier stipule dans son
article 4 que l’Emir Abdelkader est considéré comme un «hors la loi».
Le traité de Lalla Maghnia quant à lui oblige le Maroc à accepter une
définition imprécise des frontières algéro-marocaines, ce qui allait
donner aux colonialistes français un moyen de pression dont ils
useraient à tout moment ; comme il leur permet désormais de considérer
comme le leur tout territoire non défini avec précision.
Ces traités
conclus entre le Maroc et la France furent considérés par l’Emir
Abdelkader et bon nombre d’Algériens de l’époque comme une haute
trahison historique ayant eu pour conséquence la soumission et la
reddition d’Abdelkader, en 1847, au général français Lamoricière. La
guerre d’Isly et ses conséquences politiques et économiques furent pour
le Maroc un désastre que les Algériens feignent d’ignorer, alors qu’ils
sont à l’origine de ce désastre. Les traités conclus avec la France,
notamment ceux qui concernent la délimitation des frontières
maroco-algériennes, seront à l’origine de la première crise qui éclata
entre les deux pays à l’aube de leur indépendance. La guerre des Sables
de 1963 ne fut que la conséquence immédiate du traité de Lalla Maghnia
de 1845.
De 1956 à 1962 le mouvement de libération algérien
mena la lutte pour l’indépendance de son pays. Le soutien du peuple
marocain à cette lutte est largement explicité dans votre livre…Depuis
l’indépendance du Maroc, ce dernier a consacré assez d’efforts pour
aider le peuple algérien à conquérir son indépendance. Le Maroc alla
jusqu’à dire que son indépendance ne serait viable qu’après
l’indépendance de l’Algérie. Cette prise de position explique l’aide
qui fut accordée à la révolution algérienne sous toutes les formes
possibles, à tous les niveaux de la société et aux différents échelons
gouvernementaux. À cause de ce soutien manifeste, la ville d’Oujda et
ses régions supportèrent durant ces années les représailles des armées
françaises et leurs attaques agressives contre les populations. De son
côté, le Roi Mohammed V rejeta catégoriquement les propositions
françaises tendant à lui restituer les zones marocaines spoliées de
Tindouf et Colomb-Béchar annexées à l’Algérie française en 1934, en
contrepartie de la cessation de son soutien manifeste à la révolution
algérienne.
Mohammed V avait alors préféré s’entendre avec les
dirigeants algériens sur le devenir de ces zones que de porter un coup
de poignard sur le dos des frères algériens en lutte pour leur
indépendance.
Mais, malgré ce soutien, du côté algérien on est allé jusqu’à accuser le Maroc de complicité avec les Français ? Je
dois signaler un événement majeur qui, à mon sens, constitue un point
noir dans les rapports maroco-algériens à l’aube de l’indépendance des
deux pays. Il s’agit de l’arrestation de Ben Bella et ses compagnons
par l’armée française de l’Algérie. Invités du Roi Mohammed V, ils
quittèrent Rabat à destination de Tunis pour participer à une réunion
qui devait discuter de l’avenir du Maghreb et du devenir de la
révolution algérienne. L’arraisonnement de leur avion, de surcro”t
marocain, fut considéré par Rabat comme une atteinte flagrante à la
dignité et au prestige du Roi du Maroc et un acte de piraterie odieux
et condamnable. Les protestations marocaines furent énergiques, et les
manifestations populaires sanglantes et véhémentes notamment, celles
que connut la ville de Meknès. En dépit de ces actes de solidarité, des
dirigeants algériens installés au Maroc et au Caire s’étaient permis
d’accuser quelques proches du Palais dans cette affaire, rejetant la
responsabilité sur le Roi Mohammed V.
Vous avez aussi consacré une grande partie aux conflits frontaliers… Vint
le contentieux frontalier posé par le fameux traité de Lalla Maghnia de
1845. Sur cette question, le Souverain marocain avait décliné les
offres que la France lui proposait tendant à lui restituer les zones
amputées du territoire marocain et qui furent intégrées à l’Algérie
française en contrepartie de cesser toutes formes d’aides à la
révolution algérienne.
Le Souverain marocain s’était contenté de
signer le 6 juillet 1961, un accord avec Farhat Abass, représentant du
Gouvernement provisoire de la république algérienne (G.P.R.A). Dans cet
accord, l’Algérie reconna”t l’existence du problème que pose la
délimitation des frontières algéro-marocaines imposée arbitrairement
par la France. Le gouvernement de l’Algérie indépendante refusa de
reconna”tre les engagements de cet accord qui, dit-il, n’est ni un
document diplomatique, ni un accord international.
http://aujourdhui.ma/nation-details54685.html